Opinion: lettre ouverte au ministre de la sécurité publique Gal Mahamat Charfadine Margui

Monsieur le Ministre,

Je m’adresse à vous, en ce 26 février 2024,  avec un cœur lourd. J’ai une préoccupation profonde pour la sécurité de nos concitoyens, particulièrement ceux vivant dans le Bassin du Lac Tchad, notamment dans le Sud-Ouest du Tchad, frontalier avec le Cameroun et la République centrafricaine.

Le 24 février dernier, jour de mon anniversaire, j’ai partagé une réflexion sur cette même thématique, parlant de mes expériences de grand reporter-journaliste dans le Sud-ouest du Tchad, entre 1991 et 2020. J’ai évoqué la menace croissante de la rébellion et du terrorisme, à travers le phénomène des zaraguina, qui, en l’absence de l’autorité apparente des États, se livrent à des enlèvements contre rançon, sèment la terreur et la désolation. Leurs actions sur le terrain ont entraîné un retard économique de certaines provinces, caractérisé par la déperdition du cheptel, la régression des espaces cultivables, et la migration des familles et l’immigration des bras valides. Dans ma lutte individuelle, j’ai réalisé que je suis même devenu vulnérable, car mon engagement étendu à la publication d’articles de presse et des livres dénonçant ces criminels, fait de moi une cible à abattre. Mais cela n’est pas aussi important et préoccupant, puisqu’au Tchad, on le sait, la vie d’un individu de mon espèce ne compte pas ! Ma vie est minable comparée à celle de ces concitoyens qui se déplacent dans des modèles de véhicules les plus prisés et se rafraîchissent dans les hôtels les plus huppés de la place.

Qu’à cela ne tienne ! Je viens porter à votre attention un cas particulièrement déchirant. Celui de la femme de Gédeon, enlevée nuitamment, le 23 février 2024 à Koumao (sous-préfecture de Bitoye, dans le Logone Oriental). Elle a laissé derrière elle un nourrisson de six (06) mois. Ce bébé pleure sans cesse, et son cri dérange les prolétaires que nous sommes.  Sous d’autres cieux, le Ministère de l’Action sociale et les partenaires au développement tels que l’UNICEF, le PNUD, L’UNFPA, etc… prendront les devants pour plaider en faveur de la libération de cette otage.  Mais lorsque cela se passe au Tchad et que le phénomène est dénoncé par des pauvres hères, les agents (Tchadiens) qui travaillent dans les agences des Nations-Unies, les attachés de presse des ministères ne perdent pas leur temps pour rapporter les faits à leurs supérieurs expatriés. Et pourtant !

Monsieur le Ministre, au nom de votre appartenance confessionnelle et de votre attachement profond à la nation, vous ne pouvez pas rester indifférents à cette tragédie. Les pleurs de ce nourrisson résonnent à travers tout le territoire tchadien, d’un horizon à l’autre. L’enfant, abandonné entre les mains de son père, a besoin de sa maman pour assurer sa survie. Ce cri qui relève de l’instinct naturel, demande une réparation. Je vous supplie de renforcer les mesures de sécurité, de coordonner les efforts régionaux (à travers la coopération), et de mobiliser les ressources nécessaires pour la libération de cette mère, en captivité depuis quelques jours.

Au début du mois de février 2024, vous aviez déjà démontré votre efficacité en organisant la libération rapide des médecins expatriés, à savoir le Dr Juan Carlos Salgado Ortiz du Mexique et le Dr Aleksandra Pol Kiligowska de Pologne. Ces professionnels de la santé avaient été enlevés à l’Hôpital Saint Michel de Donomanga, dans la province  de la Tandjilé, le 09 février 2024, avant d’être libérés quelques heures après leur kidnapping.

Monsieur le Ministre, je vous prie instamment d’accorder une attention particulière à cette lettre et d’initier des mesures concrètes pour assurer la sécurité de nos concitoyens du Mayo-Kebbi (plusieurs personnes en captivité actuellement) et du Logone Oriental (la prise d’otage est récurrente dans les Monts de Lam), victimes des enlèvements contre rançon, ce commerce de la honte. J’estime qu’ensemble, nous pouvons œuvrer pour un avenir où la paix et la sécurité prévalent sur la terreur dans notre pays, le Tchad.

Respectueusement,

Déli Sainzoumi Nestor,

auteur et journaliste Tchadien

Tél (+235) 62 05 37 43 –

Email : delinestor@yahoo.fr

Pour en savoir plus :

– Penser les prises d’otages contre rançon : médias et système d’alerte en Afrique, éditions Ifrikiya, 2017 ;

– Les Zaraguina et la criminalité itinérante : 20 réponses aux enlèvements contre rançon dans le bassin du Lac Tchad, Editions Universitaires Européennes, 2021.

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