Morose dès son lancement en 2011, le marché des titres publics est aujourd’hui l’une des principales sources de financement des Etats de la Cemac (Cameroun, Gabon, Congo, Tchad, Guinée Equatoriale, République centrafricaine) avec un volume d’émission qui croît à une vitesse exponentielle. Entre 2017 et 2020, l’encours de ces titres est passé de 907,7 milliards à 3.225,2 milliards, soit un triplement des volumes levés en trois ans. Pour la seule année 2020, les Trésors ont obtenu plus de 1200 milliards via les deux instruments existants (BTA et OTA). Ces mobilisations de fonds permettent pour l’essentiel de financer de nombreux chantiers d’infrastructures et de faire face aux dépenses imprévues induites par les multiples conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19.
Selon les données de la Beac consultées par EcoMatin, les artisans de ce pourvoi constant des ressources sont les banques intervenant sur le marché comme Spécialistes en valeurs du trésor(SVT). Au 31 décembre 2020, celles-ci détiennent près de 93,67% de l’encours des valeurs du trésor soit plus de 3000 milliards de FCFA. Les autres catégories d’investisseurs que sont les institutionnels (sociétés d’assurance, fonds de pension, etc.) et les particuliers se partagent respectivement 5,6% et 0,6% de ces produits financiers. La prédominance des SVT sur ce marché sonne comme un effet d’éviction des autres investisseurs et particulièrement des privés qui certes ne détiennent pas de compte à la Beac, mais peuvent investir sur ces produits financiers à travers leurs banques domiciliataires.
Pour bien comprendre, il faudrait savoir que les SVT et les sociétés de bourses sont les seuls intermédiaires qui peuvent acheter des bons et obligations émis par les trésors publics sur le marché primaire. Par la suite, ils sont tenus, conformément au cahier des charges, de céder dans un délai de 6 mois, 30% des titres acquis sur le marché secondaire ; celui auquel ont accès les particuliers et les investisseurs institutionnels.
Or même sur ce compartiment, l’on constate bien que les interactions avec les autres investisseurs restent marginales. En 2020, 290 opérations d’achat ventes de titres ont été enregistrées pour un montant nominal de 610,8 milliards or dans la foulée, l’on a enregistré 735 opérations de transferts franco titres d’une valeur nominale de 1575,1 milliards de FCFA. Sur le marché secondaire, il s’agit des opérations d’échanges de titres sans contrepartie entre les investisseurs. Autant dire que pour justifier l’activité sur le marché secondaire, les banques s’échangent les titres entre eux au détriment des autres investisseurs.
L’épargne domestique : une niche d’investissements
Selon les données les plus récentes, le montant de l’épargne logée dans les banques camerounaises est estimé à plus de 4000 milliards de FCFA dont plus de 40% appartenant aux ménages. Par déduction, l’on est tenté de croire que cet épargne qui permet aux banques d’être hyper dominants sur le marché des valeurs du trésor. Ce qui pourrait, sur le long terme exposer les investisseurs à plusieurs risques. « La capacité des SVT à soutenir cette dynamique pourrait se buter à moyen termes aux contraintes prudentielles visant à préserver le secteur bancaire en contenant son exposition aux risques souverains dans les limites acceptables » indique Christian Rodrigue Otoly, chef de la Cllule de règlement et de conservation des titres à la Beac.
A ce niveau, la responsabilité des banques est engagée car selon le cahier des charges des SVT révisé en 2019, ceux-ci ont l’obligation de « promouvoir les valeurs du Trésor auprès d’une communauté large et diversifiée d’investisseurs et à développer le marché y afférent ». Pour ce faire, ils sont tenus, dans un souci de transparence du marché, d’afficher à leurs guichets, les cours d’achat et de vente des valeurs du trésor.
Mises en gardeDans une circulaire signée le 24 juin dernier, le gouverneur de la Banque centrale dresse le constat d’une légèreté dans l’application de ce dispositif. « Certains SVT agrées opérant dans la Cemac tardent à mettre en œuvre ce cahier des charges en vigueur, obligatoire dans tous ces éléments et d’application immédiate depuis son adoption » constate Abbas Mahamat Tolli. Le gouverneur de la Beac n’est pas précis sur les reproches contre les SVT mais selon une source interne, il leur est reproché de ne pas intéresser les particuliers sur ces produits financiers qui offrent pourtant des taux de rentabilité plus attractifs que l’épargne classique. Dans la Cemac, le taux de rémunération pour l’épargne domestique est de 2,45 % or la rémunération sur les titres publics oscille autour de 5,52% pour les BTA et de 7,15% pour les OTA. Aussi, Abbas Mahamat Tolli enjoint aux banques de se conformer au cahier des charges en vigueur. « La non application dudit cahier des charges expose l’entité concernée au retrait de son agrément en qualité de Spécialistes en Valeurs du Trésor », menace Abbas Mahamat Tolli.