Les travaux du forum a debouché sur une déclaration dite « déclaration de N’Djamena » dont voici le contenu.
Au Tchad, la coexistence pacifique des communautés rurales est devenue préoccupante dans certaines zones. En effet, les changements climatiques observés avec corollaire les déplacements forcés de populations ont pour effet d’augmenter la pression sur les ressources naturelles. Les différents acteurs dont les productions dependent de ces ressources éprouvent d’énormes difficultés liés à l’accès et à l’utilisation des ressources clés ( terre, pâturages, eau) se traduisant parfois par des conflits meurtriers. Les degats dans les parcelles de cultures, les cruautés contre les animaux, la mise en cultures des couloirs de passage et des aires de stationnement, l’accès à l’eau, la mauvaise gestion des litiges, l’abus d’autorité ont été rapportés comme les origines apparentes. Ces conflits ont tendance à s’amplifier ces dernières années et impactent la cohésion sociale et la cohabitation pacifique qui sont pourtant des éléments indispensables pour un développement harmonieux et inclusif de ces territoires. A l’analyse de la situation, une corrélation est clairement établie entre la vulnérabilité des populations dans ces zones conflictuelles et la détérioration des ressources naturelles ou les difficultés de leurs accès.
Face à ces défis et à l’initiative du Ministère de l’Elevage et des Productions Animales avec le soutien du Centre Humanitaire pour le Dialogue (HD) dans le cadre de son projet « Médiation agropastorale au Sahel » financé par l’Union européenne, un forum sur la cohabitation pacifique entre les communautés rurales autour de l’exploitation paisible des ressources naturelles au Tchad a été organisé à N’Djamena à la Maison de la Femme du 15 au 17 septembre 2021. Y ont pris part, les représentants des instances locales de prévention et gestion des conflits des provinces les plus affectées, des Confédérations des Éleveurs et des Agriculteurs, des Représentants d’Organisations Non-Gouvernementales, des autorités traditionnelles et religieuses, des techniciens issus des Ministères en charge de l’Élevage, de l’Agriculture, de l’hydraulique, de l’Environnement, de l’Administration du Territoire, de la sécurité et de la Société Civile. Cela a permis d’enclencher une réflexion sur la situation à l’effet d’établir des engagements conjoints en faveur d’une réduction de la conflictualité locale.
A l’issue du forum, les participants ont adopté la déclaration qui suit :
Considérant que l’agriculture et l’élevage constitue les moyens d’existence de plus de 80% de la population tchadienne et que leurs fonctions de développement économique, social et de gestion de l’environnement et du territoire sont incontestables ;
Considérant que la protection de l’environnement est un enjeu majeur pour la survie de l’Homme ;
Considérant que le mode de production dominant repose sur une mobilité et que celle-ci doit être négociée avec les autres usagers de l’espace ;
Considérant que la cohabitation, le brassage culturel et la tolérance mutuelle sont des valeurs d’avenir, entre éleveurs tout comme entre les éleveurs et les autres groupes sociaux ;
Considérant la volonté politique manifeste des Hautes Autorités d’apporter des réponses à la situation actuelle marquée par une dégradation du tissu social ;
Les participants au forum affirment leur conviction que :
L’agriculture et l’élevage demeurent les bases fondamentales pour la lutte contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire ;
La question foncière se trouve au centre des défis et enjeux d’accès aux ressources, aux droits et à l’espace : la politique foncière et le code foncier intégrant la sécurisation du foncier agro-pastoral doivent être la priorité du gouvernement ;
Le cadre législatif et règlementaire régissant l’accès au foncier et autres ressources naturelles est désuète et inadapté au contexte actuel ;
Les communautés rurales engagés dans l’activité d’élevage et d’agriculture doivent bénéficier d’un accès équitable aux ressources clés, au droit et à la représentation aux différents échelons de la vie publique ;
Le phénomène d’accaparement des terres et l’usage des certains produits phytopharmaceutiques (herbicides ) constituent une menace réelle pour l’avenir de l’agriculture et de l’élevage
Les structures locales qui œuvre dans la prévention et la gestion des conflits sous l’encadrement des autorités traditionnelles sont efficaces et qu’elles ont besoin d’être accompagnés : les individus ont besoin des structures crédibles et légitimes pour organiser la gestion de l’espace, l’accès aux ressources et gérer les relations entre groupes socio-professionnels ;
Une politique d’aménagement concertée à l’échelle des provinces à l’exemple des stratégies provinciales de développement agro-pastoral initiés dans le cadre du Programme PASTOR permet de faciliter un aménagement de l’espace dans le dialogue et la construction d’une meilleure complémentarité entre agriculture-élevage ;
L’implication accrue des autorités traditionnelles et des leaders communautaires crédibles et légitimes est un atout dans l’aménagement de l’espace pour leur connaissance de l’histoire du contexte
La corruption et l’abus d’autorité contrarient les efforts du Gouvernement et demeurent des vrais défis qui mettent à mal la paix sociale
Sur ces bases, les participants au forum invitent le Gouvernement à :
Accélérer le processus d’élaboration des textes législatifs et règlementaires relatifs au secteur rural faisant l’objet d’un code rural tel que stipulé à l’article 221 de l’ordonnance n°043/PR/2018 portant Orientation Agro-Sylvo-Pastorale et Halieutique ;
Concevoir et mettre en œuvre de programmes intégrés agricoles et pastoraux ;
Accorder un budget conséquent et autres appuis multiformes aux autorités traditionnelles et religieuses en leur qualité de garant de la bonne cohabitation au sein de leurs communautés respectives.
Par conséquent, les participants formulent les recommandations suivantes :
Réactualiser le cadre législatif et règlementaire ;
Inscrire le foncier pastoral dans les textes régissant le foncier au Tchad ;
Aménager de manière participative les espaces pastoraux tout en prévoyant la mise en place d’ouvrages pastoraux ;
Mettre en place des cadres locaux inclusifs de concertation et de gestion des conflits impliquant les autorités religieuses et traditionnelles ;
Instaurer un cadre de communication permanent entre les différents acteurs à travers les radios locales et les canaux traditionnels de communication ;
Renforcer la résilience des systèmes agro-pastoraux mobiles et l’accès équitable aux ressources naturelles ;
Repenser la sécurisation des systèmes agro-pastoraux suivant les axes de la stratégie nationale de développement pastoral ;
Faciliter la mobilité des pasteurs pour rendre moins rude la compétition sur les ressources naturelles ;
Associer pleinement les communautés concernées à toutes initiatives autour des enjeux sécuritaires liés aux activités pastorales ;
Intégrer la dimension genre, le changement climatique et la gestion durable des ressources naturelles ;
Renforcer la coopération bilatérale, régionale et inter-régionale ;
Plus spécifiquement, le forum invite :
Le Gouvernement avec l’appui de ses partenaires techniques et financiers à :
Garantir la mobilité pastorale tant au niveau national que transfrontalier ;
Prévenir et répondre aux problèmes sécuritaires en procédant aux désarmements des communautés rurales afin d’éviter une collusion avec des menaces sécuritaires globales (extrémisme violent, terrorisme, criminalité organisée, etc.)
Organiser les consultations locales avec l’implication des acteurs sur les projets de textes
Appuyer la Vulgarisation de la charte d’éthique des chefs traditionnels ;
Rendre officielle et prendre en charge les structures de prévention et de gestion des conflits (doter les comités des moyens matériels et financiers (engins à deux, un bureau pour les rencontres, une tenue pour l’identification, un petit budget de fonctionnement)
Vulgariser et faire respecter les textes régissant l’exploitation des ressources naturelles ;
Faciliter l’élaboration des accords et protocoles
Investir dans la réalisation des ouvrages hydrauliques
Accompagner techniquement les producteurs dans la prévention et la gestion des conflits
Les autorités traditionnelles et religieuses et les comités d’entente et de prévention
Négocier l’ouverture et la matérialisation des pistes et aires de stationnement des animaux
Surveiller les tronçons négociés
Faire respecter les couloirs de transhumance
Interdire/Éviter les champs pièges
La société civile
Accompagner les communautés dans la sensibilisation, les formations et la vulgarisation des textes
Mener des actions de conscientisation auprès des autorités traditionnelles pour éviter l’accaparement des terres.
Fait à Ndjamena, le 17 septembre 2021
LES PARTICIPANTS